11 novembre 1918 , Joseph Kessel en partance de Brest pour Vladivostok via New-York et San Francisco. Alors que l'armistice est proclamé, il s'en va rejoindre un corps expéditionnaire occidental en pleine en pleine guerre civile russe :
"(...) Enfin, au bout d'un temps qui ne peut se mesurer, on entend une voix étranglée, incrédule. Elle dit :
- L'armistice.
Et soudain le mot passe, éclate, de bouche en bouche, de pont en pont, devient cri, délire. Et les volées des cloches l'accompagnent. Et dans les accalmies, on perçoit, malgré la distance, là-bas, dans Brest, un grondement humain. La foule. Et j'entends un camarade, près de moi, dire pour lui-même :
- A travers la France entière... chaque ville, chaque village...
Et je sens chez lui, chez Bob, chez moi, chez tous, le désir déchirant d'être à terre, dans la cité devenue folle, déversée à travers places et rues, avec les hommes et les femmes qui chantent, hurlent, rient et pleurent d'une telle joie telle qu'ils n'en connaîtront plus jamais.
C'est trop de cruauté, d'injustice : être exilés, proscrits de la fête prodigieuse, de la fêtes du siècle, après avoir accompli et risqué tout ce qu'on était en mesure d'accomplir et de risquer pour que, enfin, sonnent les cloches.
Dans cet instant le voyage était refusé, renié. Si la chose avait été possible, on se serait jeté à l'eau pour atteindre le quai, la ville , la foule. Les chefs de mission ont bien tenté une démarche auprès de l'officier américain qui commandait le President Grant. Il a répondu qu'il comprenait nos sentiments mais que les ordres étaient les ordres. Son bâtiment appareillait dans une heure.
Ainsi, le 11 novembre 1918, a commencé notre voyage.
Voyage insensé qui nous emmenait dans un but de guerre le jour, la minute même où la guerre s'arrêtait."
Les temps sauvages (1975)