Extraits de L'Opinion française et l'Iran, 1945-1991, Lille III, 1991.
Voir aussi : ETIEMBLE (René), L'Europe chinoise : t.1, de l'empire romain à Leibnitz, t. 2, de la sinophilie à la sinophobie, Paris, Gallimard, 1988 et 1989.
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Si, dans le cadre d'une "géopolitique des passions françaises", la Chine occupait une place de choix au cours des années 60-70, l'Iran lui vole la vedette sur la longueur des années 80, bien qu'en juin 1989, la mort de Khomeiny passe secondairement à la une des journaux après les événements de la place Tien Anmen.
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(...), il faut noter que, si la presse était là pour rendre compte immédiatement des anathèmes de l'ayatollah Khomeiny contre l'Occident et de la répression en Iran islamique, la Chine maoïste a bénéficié plus longtemps d'un voile de silence et de l'ignorance de l'opinion occidentale quant aux exactions du régime, en particulier durant la "révolution culturelle" dont la réalité ne fut véritablement révélée qu'avec un temps de décalage. Le modèle chinois, qui n'était pas entaché d'une image sanglante, a donc pu susciter l'adhésion d'un certain nombre d'intellectuels de gauche.
Mais au-delà des adhésions politiques et idéologiques, on peut juger (plus superficiellement, mais aussi plus largement) des images laissées par l'Iran khomeinyste et la Chine de Mao au sein de l'opinion occidentale sur le plan de la mode, notamment vestimentaire. Si le tchador des femmes iraniennes, la djellaba et le turban des ayatollahs ont symbolisé très vite l'altérité absolue, l'austérité vestimentaire, l'intolérance envers toute forme de "frivolité" dans l'habillement, le costume à la Mao a été intégré dans la panoplie de la mode occidentale des années 60 comme un excentricité parmi d'autres. Loin d'inspirer des images d'intolérance et de répression, la Chine a suscité des évocations plus légères, voire humoristiques à travers la variété, comme par exemple, une chanson de Nino Ferrer ("Mao et Moa", 1967) faite de jeux de "mao", qui, à défaut d'être proche de la réalité, véhiculait une image plutôt souriante et amusante de la Chine. De son côté, une chanson interprétée par Jacques Higelin ("Priez pour Saint Germain des Prés") présentait la "mode chinoise" parmi les stéréotypes des milieux intellectuels et estudiantins de Saint Germain des Prés.
Les images répressives de la Chine et de l'Iran se sont maintenant rejointes : ce que symbolisait un dessin de Plantu (Le Monde, 6 juin 1989) représentant l'ayatollah Khomeiny moribond passant le bâton de la répression à Deng Xiaoping lors d'une course de relai. A cet égard, il faut à nouveau souligner le rôle de la chambre de résonance de la presse occidentale qui, présente inopinément sur les lieux pour une visite officielle de Gorbatchev, a pu rendre compte du mouvement étudiant de la place Tien Anmen et de sa répression.
L'image révolutionnaire de l'Iran est donc, avant tout, aujourd'hui, négative. La figure de Che Guevara (qui n'est pas sans évoquer celle de Lord Byron peint par Philips) a fait perdurer jusqu'à nos jours une aura romantique autour de la révolution cubaine. Mais l'effondrement du communisme en Europe de l'Est a fait se rejoindre, là aussi, les "barbus" de Téhéran et de la Havane comme symboles d'un "intégrisme" entendu comme le rejet de la démocratie et des valeurs occidentales. Cependant, comme le note Semih Vaner ( chercheur au CERI et fondateur du CEMOTI) dans un article de Libération ( "Paris-Ankara-Téhéran") du 17 septembre 1991 : "L'un des rares effets positifs de la guerre du Golfe aura été d'atténuer l'image de l'Iranien-chiite-le couteau-entre-les-dents."
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Au sujet des unes des journaux du 5 juin 1989.
Les manchettes sont occupées avant tout par les événements de la place Tien Anmen tandis que la mort de Khomeiny est renvoyée vers le bas, dans la seconde moitié de la page. A cet égard, les unes du Monde (daté du 6 juin) et du Figaro sont assez semblables avec toutes les deux un dessin (l'un de Plantu, l'autre de Jacques Faizant) associant Khomeiny à l'image de la mort faucheuse de vies fauchant, cette fois-ci, l'un de ses serviteurs.
L'Iran est évoqué dans la partie droite de la page quand une part égale est accordée aux deux événements, comme c'est le cas dans France Soir et le Quotidien de Paris; toutefois, pour ce dernier, alors que le titre principal concerne la Chine, c'est la photographie de Khomeiny, s''élevant sur toute la hauteur de la page, silhouette noire qui surplombe la photographie de cadavres d'étudiants chinois qui domine le tableau.
Seul le Parisien Libéré réunit les deux événements sous un même titre : "Le crépuscule sanglant des tyrans". Plantu reprend la même idée dans son dessin du Monde associant Khomeiny moribond et Deng Xioping en vieillard cacochyme.
Les unes de L'Humanité et de Libération sont structurées de la même façon et accordent nettement la priorité à la répression en Chine qui est évoquée sur les quatre cinquièmes de la première page. La mort de Khomeiny est renvoyée en cinquième colonne en entête de l'annonce d'autres événements internationaux; mais à la différence de L'Humanité, Libération y adjoint une photo du "guide" de l'Iran et accorde un titre relativement gros. A cet égard, le journal adopte une une assez neutre et sobre sur Khomeiny comparativement aux autres quotidiens où l'ayatollah, s'il n'est pas explicitement qualifié de "tyran", est diabolisé ou associé à une image de mort (celle qu'il a suscité par sa politique).
De ces unes ressortent l'évocation de deux couleurs. Le mollah noir comme ses habits et comme la mort; le rouge du communisme et de la répression en Chine.
A l'exception du Quotidien de Paris, les premières pages sont consacrées aux événements de la place Tien Anmen tandis que celles évoquant la mort de Khomeiny sont renvoyées au coeur ou à la fin du journal.
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A propos de la Russie, Jacques Julliard note en 1991:
"Ces terres russes aux confins d e l'Asie ne sont pas seulement depuis des siècles nos marches de l'est; elles sont un lieu en ce moment de notre sensibilité. Et cela est spécialement vrai pour nous autres Français car, depuis le XVIIIe siècle, la Russie tient une place à part dans notre géographie sentimentale."
("Le sang des rêves", in. Le Nouvel Observateur, 1399, 24 août - 4 septembre 1991).
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Blog de Philippe Prunet (Overblog) : 23 mars 2021.