"(...) Des pareilles choses nous ne faisons que nous en moquer. Il y a des gens qui embarquent des figures bien plus affreuses dans le bateau de leur sermon, de leur art ou de leur littérature... et pourtant ils doivent rester dehors..." (traduction de Régis Boyer) déclare le Maigre dans Peer Gynt : un avatar du diable alias aussi Sabot de bouc de La Poste de Bokberg , une allégorie du critique dramatique prêt à sortir une oeuvre ou un spectacle du commun en le passant au feu glorificateur de sa plume. Alors, le lynchage mortel d'un jeune homosexuel survenu à Liège en mai 2012 et qui a bouleversé à l'époque l'opinion publique belge, est-il un fait divers suffisamment horrifiant pour passer les feux de la rampe ? A partir d'un travail d'enquête sociologique, Milo Rau a pris l'habitude de se colleter avec l'actualité la plus cruelle pour monter ses spectacles. Par le biais de procédés de théâtre dans le théâtre et même de cinéma dans le théâtre (la violence ou la réalité la plus crue sont-elles plus supportables sur scène ou sur un écran ?), il met en scène (pour de faux) et en abîme dans La Reprise la dureté (la dure réalité) de la vie. Formé à la sociologie par Pierre Bourdieu, il plante sa plume dans l'encre la plus noire pour raconter ses "histoires du théâtre". Ce qui rappelle le projet que Jacques Le Ny du CDN d'Orléans lançait il y a près de vingt-cinq ans en proposant à des gens de théâtre de s'inspirer de l'ouvrage collectif dirigé par Bourdieu La misère du monde afin de faire émerger des écritures dramatiques contemporaines en prenant en compte de nouveaux personnages (de nouveaux "monstres shakespeariens"?) issus du "social". Ce qui donna lieu pour Eric Da Silva à une série de textes rassemblés sous le titre générique de Je ne pourrais pas vivre si je croyais que je faisais du mal et à une série de spectacles montés durant les années 2000 tels le très beau Stalingrad (autour de la place parisienne) ou la très sauvage Demande en mariage (d'après les méfaits d'un duo de serial killers pédophiles et anthropophages). Mais jusqu'où peut aller le théâtre dans sa représentation ou plutôt son évocation de la violence...? Dans cette "montée aux extrêmes", Milo Rau clôt son spectacle sur une hypothétique scène de pendaison et pose la question de la réaction du public, des spectateurs : viendraient-ils en aide à l'acteur qui joue sa vie sur scène... pour de vrai...? Ce qui à défaut d'évoquer Harold et Maude n'est pas sans faire penser aux situations "léoniennes" de pendaisons dans Le bon, la brute et le truand... sans un tireur bienveillant cette fois pour couper la corde avant que mort s'en suive.