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2 mars 2024 6 02 /03 /mars /2024 16:43

Sans l'avoir lu, j'ai entendu médiatiquement parler d'un roman de Thomas Schlesser Les yeux de Mona sur l'imaginaire pictural... Mais vivons-nous dans une réelle civilisation de l'Image ou des images...? De ce déluge d'images dans lequel nous baignons, Jean-Luc Godard a fait un film : Le Livre d'Image. Un documentaire, un document cinématographique à la fois esthétique et à sa façon historique et anthropologique, une somme. Mais l'Image, les images, nous rendent-elles forcément plus civilisés au sens noble du terme? Nicolaï Kolyada dans sa mise en scène de Hamlet il y a quelques années semblait s'en moquer. Il représentait la grossièreté trollesque de la cour d'Elseneur comme camouflée par une avalanche de toiles de maîtres dont il inondait le plateau avec au centre bien sûr Mona Lisa, La Joconde de Léonard de Vinci comme un paravent de la réalité grotesque de la société qui l'expose... Pour Hamlet se posait ainsi la question d'être ou ne pas être un Troll conforme à ce monde d'apparences plus ou moins biaisées où les oeuvres d'art à l'époque de leur reproductibilité (pour reprendre le titre d'un essai de Walter Benjamin) se multiplient dorénavant à l'heure d'Internet (de la Grande Toile) à l'infini au-delà même des séries warholiennes... Etre ou ne pas être un Troll ? Kolyada croisait ainsi Hamlet  avec la problématique de Peer Gynt, la pièce d'Ibsen à laquelle il faisait explicitement référence et où il puisait l'image (ou l'idée) de la Cuiller dans laquelle toute création pas forcément originale est refondue dans la masse... Dans La fille aux yeux de Botticelli de Herbert Lieberman, il est cette fois-ci question non plus de La Joconde et de Mona Lisa, mais bien sûr de Botticelli et de son modèle Simonetta...  Alors qu'une exposition est organisée autour de l'oeuvre de Botticelli, Lieberman se moque du marketing, du kistsch  aurait pu dire Milan Kundera, qui emballe la mise en place de l'exposition pour attirer le chaland... il est y est question de "ça."..

 

<< (...)

 

- Franchement, Mark, grogna Maeve après qu'un couple eut quitté leur table, je trouve que tu te comportes bizarrement. Qu'est-ce qui t'arrive ?

 

- Rien, je te le répète. C'est simplement que...

 

- Quoi ?

 

- Ce n'est pas ce que je voulais. Ce n'est pas ça. J'avais rêvé d'autre chose, avoua-t-il d'un air sombre.

 

- Où est le problème ? Tu fais allusion à ça ?

 

D'un geste large elle désigna la terrasse illuminée avec son impressionnante collection de gens riches et puissants. Au même moment, une fanfare résonna et six musiciens ambulants entrèrent, l'un derrière l'autre, en exécutant des canzones de la Renaissance sur d'authentiques instruments de l'époque.

 

Manship fit la grimace.

 

- Oui, tout ça, dit-il avec un hochement de tête méprisant. Toute cette comédie grotesque. Qu'est-ce que ça vient foutre là-dedans, hein ?

 

En entendant sa remarque acerbe, Osgood se tourna brusquement vers lui. Manship esquissa un sourire, puis baissa la voix.

 

Perplexe et contrariée, Maeve secoua la tête.

 

- OK, je te l'accorde, c'est un peu tape-à-l'oeil. Mais le clinquant fait partie de ton métier, je te le signale. C'est de cette manière qu'on vend l'art de nos jours. Quand le comprendras-tu enfin ? Le show-business fait partie du décor, tu n'es pas au courant ? Désolée de te le rappeler, mais tu ne peux pas passer es journées enfermé avec des oeuvres d'art et demeurer à l'écart des viles contraintes du monde des affaires. Tu es obligé de payer un tribut, c'est le marketing. C'est lui qui permet ta magnifique exposition d'exister. Combien de personnes feront la queue demain devant ces portes pour payer cinq dollars et voir tes Botticelli ? Tu crois qu'elles viendront pour admirer tes tableaux ? Non, tous cs gens viennent parce que tout le monde parle de ton expo. Partout. Dans les journaux, dans les magazines, à la télévision. Demain, ces types grotesques avec leurs pantalons bouffants feront toutes les unes. C'est ça qui permet aux musées de retsterr ouverts et d'attirer des foules. C'est ça qui permet à de gens comme toi et moi de continuer à travailler. Et moi, ça me plaît. J'adore rencontrer mon public lors des vernissages. Et si ça fait de moi un être superficiel, tant pis. Allons, réjouis-toi, Mark. Sans eux nous ne sommes rien. Zéro. Alors cesse de te lamenter sur ce qu'est devenue ton expo ! Car elle est exactement ce que tu voulais qu'elle soit : un immense succès ! Exactement comme tu l'avais prévu dès le départ. Imagine un peu ce que tu ressentirais si personne n'avait pris la peine de se déplacer.

 

Dépité, Manship balaya du regard la terrasse illuminée, les chandeliers et les verres en cristal scintillants, acceptant les critiques de son ex-épouse avec une sérénité inhabituelle.

 

(...) >>

 

Herbert Lieberman, La fille aux yeux de Botticelli, Paris, Le Seuil, 1996. Traduction de Jean Esch.

 

 

 

Hamlet dans la mise en scène de Nicolaï Kolyada avec La Joconde  au coeur du spectacle dans un déluge de toiles de maîtres...

 

Blog de Philippe Prunet (Overblog) : 2 mars 2024.

 

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  • : Le blog de philippe prunet
  • : Idée de ce blog : fixer et trouver un lieu de publicité pour un certain nombre de textes que j'ai fait passer via le net, au fil de l'actualité (la mienne, celle autour), ces trois dernières années. Trouver la verve pour en écrire d'autres et combler ainsi une forme de vocation journalistique; même si tout cela n'est qu'épisodique, sommaire, irrégulier et ne joue que sur une partie de la gamme.
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