Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 novembre 2010 2 02 /11 /novembre /2010 18:44

esseq1

 

 

esseq2

L'Appel du bois (publicité théâtrale)

 

   La pièce aurait aussi bien pu s'appeler  "la chasse au cerf" ("deer hunter") ou "au coeur des ténèbres" (du bois). D'entrée, un cerf est  abattu. Animal sacrifié? Son corps gît sur scène tout au long du spectacle. Tandis qu'on reconnaît au coin d'une réplique un mot d'Higelin ("Où est cette fille..."), la bande son reprend la chanson "I can't take my eyes off you" du film de Cimino ainsi que des samples des voix de Marlon Brando et Dennis Hopper dans "Apocalypse now". Sur les bords, par le milieu, en filigrane, une métaphore (un mouvement) fluvial suit son cours et s'écoule, avec ses tourbillons, dans un endroit où "il y a des bois et des îles" qui se confondent. Au détour d'un méandre, se dessine un "plan de composition" théâtrale fait de "vitesses et de lenteurs" et d'êtres mélangés. Des comédiens assis encadrent le plateau et les "rencontres" se succèdent  sur scène. Terrain de jeu : un espace sylvestre circonscrit entre Paris, Neuilly, Boulogne et la Seine. Pour personnages : tout une faune bigarrée qui vivote au fond du bois.

 

    Un puto et une puta aux allures de grands Sioux dépoitraillés entrent en conversation. Et la puta prend pour pseudo "Clara Bruni" en hommage à l'idéal de beauté refaite de son modèle médiatique. Miroir déviant? Rien de politique. Juste une association d'idées. Monica Bellucci et Marion "Cotillon" ou "Coquillard" passent également à la moulinette un peu plus tard.

 

    Dans ce bois, comme dans un songe, tout se transforme. Les rôles et les rapports de force s'inversent. Même les fleurs attrapent un air étrange. Un couple de lesbiennes, façon Lara Croft, la douce et la dure, godenichet en avant, sadisent et mettent sur le trottoir le policier venu les interpeller. Plus loins, deux supporters du PSG driblent et se molestent tout en philosophant. Plus loin encore, un grand travelot sexy et sympathique décide de sauter le pas et de se faire opérer. Un musicien baptisé "Jimi Lendrix" deale de la drogue... Pourquoi pas évoquer directement aussi Lou Reed, le David Bowie de "Ziggy Stardust" ou le Mike Jagger androgyne des années 60-70? "Walk on the wild side". Autant de personnages conceptuels et équivoques viennent exercer leur puisance de fascination à l'orée du bois.

 

    Onirique, poétique, drôle et cru, le texte, emporté par des effets de dyslexie narrative, est scandé, chanté, agi, mouvementé. Au final, les acteurs, atablés face au public, viennent l'interpréter en lecture chorale. A la crudité des expressions et des images répondent la tenue technique et physique et la distanciation des des comédiens. Et le spectacle file comme un long poème rimbaldien pulsé et dialogué.

 

    Rappel de "L'Anniversaire" (2009), une grande rapière de bois - symbole tant phallique que castrateur - se plante au milieu du décor et semble convoquer, comme dans le roman arthurien, l'armée des conflits et des désirs. "Le spectacle est dans l'épée". Visuellement, on la dresse ou on la coupe pourrait-on dire. Mais ces deux derniers spectacles prennent place dans une série plus large. Soit un ensemble de textes qu'Eric Da Silva écrit et monte depuis les années 2000 avec d'anciens de l'Emballage Théâtre, de Henri Devier du Melkior Théâtre de Bergerac et de nouvelles recrues. Titre générique : "Je ne pourrais pas vivre si je croyais que je faisais du mal". Et comme projet (inspiré notamment par la lecture de "La misère du monde" de Pierre Bourdieu), créer de nouveaux personnages pour le théâtre en rendant compte de certaines réalités sociales contemporaines situées à la marge ou rejetées dans l'anormalité. Par delà le bien et le mal, au-delà de tout vérisme et psychologisme appuyés, trouver, grâce à un jeu ouvert des "affections du corps et de l'esprit", les moyens imaginaires et spectaculaires de représenter cette frontière fluctuante entre la norme et la bizarrerie, l'insolite, voire la monstruosité.

 

    Au programme, des figures emblématiques de l'histoire américaine récente : le serial killer Henry Lee Lucas ("La demande en mariage") ou le boxeur Myke Tyson ("Mike de New-York"). Ou bien des lieux à part de la vie parisienne mis

en fiction : la place Stalingrad (cf. la pièce éponyme) ou le bois de Boulogne, "gigantesque lupanar à ciel ouvert" où s'expérimente  une étrange alchimie théâtrale. Alors que l'Emballage jouait plutôt sur une "physique" des corps, formes humaines, naturelles et artificielles se lient ici insensiblement, se composent (et se décomposent) comme dans le "cosmos" de Gombrowicz.

 

Représentations:

- les 16 et 17 novembre 2010 au Théâtre National Bordeaux Aquitaine.

- les 3 et 4 décembre au Théâtre de Gennevillers.

- le 7 décembre au Centre André Malraux- Scène Nationale-Vandoeuvre les Nancy.

 

Suggestions :

 

Antonin ARTAUD, Le Théâtre et son double, réed. Folio-Gallimard.

Gilles DELEUZE, Spinoza. Philosophie pratique, Paris, Editions de Minuit.

Witold GOMBROWICZ, Cosmos, réed. Folio-Gallimard.

Philippe PRUNET, "La violence emballée" (Théâtre/Public no 106, juillet-août 1992); "Emballage, mode d'emploi" (Théâtre/Public no 121, janvier-février 1995); "Sic transit gloria mundi ou la révélation mimétique" (1995/2009).

Bruno TACKELS, "Quand le théâtre délire, il délire" (Mouvement no 56, été 2010)

Michel TOURNIER, Célébrations, Paris, Mercure de France, 1999.

 

Texte adressé au site de "L'Appel des appels" le 30 août 2O10.

 

Voir aussi :

 

Marc JIMENEZ, "Vive l'insolence et l'insolite contre puritains et puristes", in. Le Monde, samedi 2 octobre 2010, p20.

Mari-José SIRACH, "Eric Da Silva fait flèche de tout bois (de Boulogne)", in. L'Humanité, vendredi 16 juillet 2010, p15.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de philippe prunet
  • : Idée de ce blog : fixer et trouver un lieu de publicité pour un certain nombre de textes que j'ai fait passer via le net, au fil de l'actualité (la mienne, celle autour), ces trois dernières années. Trouver la verve pour en écrire d'autres et combler ainsi une forme de vocation journalistique; même si tout cela n'est qu'épisodique, sommaire, irrégulier et ne joue que sur une partie de la gamme.
  • Contact

Recherche

Liens