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27 novembre 2013 3 27 /11 /novembre /2013 15:11

10. Peer Gynt semble partager une communauté de destin avec le Vieux de Dovre et, surtout, un jeune réfractaire (auquel il assiste à l'éloge funèbre à l'acte V) qui sont restés en Norvège mais qui se heurtent aussi au désir mimétique. Chacun d'eux entend préserver son identité individuelle, mais aux ambitions de Peer et aux vastes horizons qu'il a parcourus, s'opposent l'horizon étroit et l'attitude modeste du jeune homme qui a vécu "rétréci dans sa famille" (acte V), plus ou moins en marge de la communauté villageoise, sans pour autant échapper aux obstacles et embûches semés sur sa route par le désir mimétique comme un mauvais sort. Si il a cru pouvoir échapper à la violence des hommes en évitant la conscription et en fondant un foyer en retrait, dans la montagne, la nature se retourne contre lui par toute une série de catastrophes. Celles-ci ne le font pas pour autant renoncer à ses projets, qu'il poursuit seul, avec obstination, entêté dans la poursuite de son destin idividuel et familial.

Peer, quant à lui, si il s'obstine dans son désir de réussite individuelle, ne s'enracine dans aucun lieu ni aucune activité précise, car il préfère fuir l'échec et tenter sa chance ailleurs, dans d'autres domaines. Mais, en fin de compte, la constance casanière de l’un ou la bougeotte internationale de l'autre sont récompensées des mêmes obstacles. Leurs itinéraires se complètent et reflètent les différents aspects (intérieurs et extérieurs) du souterrain (cf. note 13).

De son côté, le personnage du boulanger, que Peer Gynt croise à l'acte V dans la scène du naufrage, apparaît comme une figure intermédiaire entre Peer Gynt et le réfractaire, puisque, en même temps qu'il parcourt le monde sur un navire, il a fondé une famille qui l'attend au pays, Ce qui semble entraver le réfractaire dans son parcours par rapport à Peer Gynt, ou bien faire sombrer le boulanger dans la tempête en lieu et place de Peer, c'est un attachement à leurs familles qui les rattachent précisément à tout le poids de la société, alors que Peer, "plus léger qu'un bouchon", s'est affranchi de l'un et de l'autre.

Tous les dangers de la société et de la famille sont, en quelque sorte, résumés dans le cas du Vieux de Dovre qui, resté parmi les siens, finit rejeté par ces derniers. Cependant, à l'inverse de cet échec, c'est la fidélité du boulanger et du réfractaire envers leur famille et celle de Peer et de Solveig l'un envers l'autre, au moment des retrouvailles finales, qui semblent garantir le fait qu'ils soient restés toujours fidèles à eux-mêmes. Pour résoudre ce paradoxe, on peut établir une distinction entre, d'une part, la famille dans laquelle on naît, ferment de désordre ou de rejet (le Vieux de Dovre est rejeté par sa descendance et Peer subit l'opprobre jeté par les gens sur son ascendance) et, d'autre part, le foyer que l'on crée, qui apparaît au contraire comme un refuge contre les désordres de la société et le moyen de restaurer un peu de constance dans les relations humaines, du moins dans les limites du couple.

(Philippe Prunet, 1996/2009)

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