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10 avril 2022 7 10 /04 /avril /2022 16:06

Un chahut de camions chargés de fusils couvrait Madrid tendue dans la nuit d'été. Depuis plusieurs jours les organisations ouvrières annonçaient l'imminence du soulèvement fasciste, le noyautage des casernes, le transport des munitions. Maintenant le Maroc était occupé. A une heure du matin, le gouvernement avait enfin décidé de distribuer les armes au peuple; à trois heures, la carte syndicale donnait droit aux armes. Il était temps : les coups de téléphone des provinces, optimistes de minuit à deux heures, commençaient à ne plus l'être.

 

Le central téléphonique de la gare du Nord appelait les gares les unes après les autres. Le secrétaire syndical des cheminots, Ramos, et Manuel, désigné pour l'assister cette nuit, dirigeaient. Sauf la Navare, coupée, la réponse avait été ou bien : le Gouvernement est maître de la situation, ou bien : les organisations ouvrières contrôlent la ville en attendant les instructions du gouvernement. Mais le dialogue venait de changer :

 

- Allô, Huesca ?

 

- Qui parle ?

 

- Le Comité ouvrier de Madrid.

 

- Plus longtemps, tas d'ordures ! Arriba Espana !

 

Au mur, fixée par des punaises, l'édition spéciale (7 heures du soir) de Claridad : sur six colonnes "Aux armes camarades".

 

- Allô, Avila ? Comment ça va chez vous ? Ici la gare.

 

- Va te faire voir, salaud. Vive le Christ-Roi !

 

- A bientôt ! Salud !

 

On avait appelé Ramos d'urgence.

Les lignes du Nord convergeaient vers Saragosse, Burgos et Valladolid.

 

- Allô Saragosse ? Le comité ouvrier de la gare.

 

- Fusillé et autant pour vous avant longtemps. Arriba Espana !

 

- Allô Tablada ? Ici Madrid-Nord, le responsable du Syndicat.

 

- Téléphone à la prison, enfant de putain ! On va aller te chercher par les oreilles.

 

- Rendez-vous sur l'Alcala, deuxième bistrot à gauche.

 

Ceux du central regardaient la gueule du jovial gangster frisé de Ramos.

 

- Allô, Burgos ?

 

- Ici le commandant.

 

Plus de chef de gare. Ramos raccrocha.

 

(........................................................................)

 

A travers des histoires d'aiguillage qu'il comprenait mal et dans l'odeur de carton de bureau, de fer et de fumée de la gare ( la porte était ouverte dans la nuit très chaude, Manuel notait les appels des villes. Dehors, le bruit des chants et des crosses de fusils; il devait sans cesse faire répéter (les fascistes, eux, raccrochaient). Il reportait les positions sur la carte du réseau : Navare, coupée; tout l'est du golfe de Biscaye, Bilbao, Santander, Saint Sébastien, fidèle, mais coupé à Miranda. D'autre part, les Asturies, Valladolid fidèles. Les sonneries sans arrêt.

 

- Allô. Ici Ségovie. Qui êtes vous ?

 

-Délégué du Syndicat, dit Manuel, en regardant Ramos d'un air interrogateur. Qu'est-ce qu'il était, au fait ?

 

-  On ira bientôt  te les couper !

 

- Ca passera inaperçu. Salud !

 

(.......................................................)

 

André Malraux, L'Espoir, chapitre 1, Paris, Gallimard, 1937.

 

Affiche du film L'Espoir d'André Malraux (1939).

 

Blog de Philippe Prunet (Overblog) : 10 avril 2022.

 

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  • : Idée de ce blog : fixer et trouver un lieu de publicité pour un certain nombre de textes que j'ai fait passer via le net, au fil de l'actualité (la mienne, celle autour), ces trois dernières années. Trouver la verve pour en écrire d'autres et combler ainsi une forme de vocation journalistique; même si tout cela n'est qu'épisodique, sommaire, irrégulier et ne joue que sur une partie de la gamme.
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