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27 décembre 2021 1 27 /12 /décembre /2021 19:18

Article rédigé début 2009 et déjà mis en ligne sur ce blog le 27 novembre 2013. C'est un extrait (l'épilogue) d'une étude plus large sur Peer Gynt d'Ibsen. Essai d'anthropologie théâtrale (1995-2009) qui comprend l'adaptation de la pièce d'Ibsen par Eric Da Silva pour sa représentation au théâtre de Gennevilliers en 1995. Elle comprend également une longue préface (Sic transit gloria mundi ou la révélation mimétique) rédigée par moi-même fin 1995 et complétée en 2009. J'y croise notamment les références aux théories de René Girard, à l'oeuvre de Witold Gombrowicz (en particulier Ferdydurke), à L'insoutenable légèreté de l'être  de Milan Kundera ou bien encore à certains films d'Hitchcock.

 

Rear window  (1954) d'Alfred Hicthcock. Ou comment un photographe peut capter la réalité...

 

On a déjà évoqué chez Ibsen une forme de démarche à la fois anthropologique et voyeuriste pour tenter de saisir la réalité des êtres et du monde. C’est la démarche de l’écrivain, mais aussi du photographe ou du cinéaste qu’on retrouve, par exemple, dans Blow Up d’Antonioni ou Fenêtre sur cour d’Hitchcock. Si ton œil te scandalise, arrache le. C’est ce que ne se résout pas à faire non plus le reporter photographe incarné par James Stewart. Mieux que Peer Gynt, il ne se contente pas d’observer la réalité, il la photographie[1]… tandis que, par une mise en abîme[2], Hitchcock filme, le spectateur regarde, le critique analyse la situation, le lecteur lit, rêve, en rend compte… Tel le Maigre, le diable, le photographe sonde et révèle la réalité humaine sous le feu destructeur ou glorificateur de son appareil et de ses pellicules, comme le fait de son côté le rédacteur à la pointe de sa plume. Il résout ainsi l’énigme d’un meurtre que personne ne soupçonne et ne voit à part lui et se défend lui-même du meurtrier par ce biais : protégé dans la pénombre de son appartement, il aveugle l’agresseur par ses flashs. Mais il paye autant qu’il récolte les risques pris. Déjà handicapé au début du film, il se retrouve au final, après une chute qui lui fait toucher de près la dure réalité par delà son objectif et le cadre de sa fenêtre, plâtré et boiteux des deux jambes tel Héphaïstos dieu grec du feu. Alors qu’il hésitait encore entre repartir en reportage au loin (il doit se rendre au Pakistan) et se fixer sentimentalement, il se retrouve au contraire immobilisé, à demi-somnolant, contraint de regarder le monde de loin et prêt à fonder un foyer tandis que sa jeune et belle fiancée (la lumineuse Grace Kelly), telle Solveig, veille à ses côtés[3].

 

[1] C’est l’allégorie que représentent Tereza, la photoraphe, mais aussi Sabina, la peintre qui vit pour « voir », dans L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera (I, 19-24).

 

[2] Pour Kundera, la légèreté correspond à Beethoven qui transforme « une inspiration comique en quatuor sérieux, une plaisanterie en vérité métaphysique » ou bien à l’ « esprit de Parménide » qui consisterait à partir d’ « une grande vérité métaphysique sous forme d’esquisse imparfaite » pour parvenir « comme une œuvre achevée à la plaisanterie la plus légère » (op. cit., V, 8).

 

C’est ce qui correspond aussi à l’esprit de Serge Gainsbourg quand il brode sur les modes musicales pour les subvertir ou y ajouter son humour, sa légèreté ou sa profondeur; ou bien quand il reprend une partition classique ou romantique pour en faire une chanson, tel l’air de Solveig d’Edvard Grieg pour « Lost song ».

 

On peut n’y voir qu’un avatar dérisoire, mais on retrouve dans la série américaine Malcom in the middle une mise en abîme drôle et pertinente des médiations et liens mimétiques sur lesquels jouent explicitement les scénaristes qui paraissent très au fait des théories, de la symbolique et du vocabulaire girardiens comme d’une certaine culture littéraire. Voir notamment l’épisode « Le poker » sur le film du processus de création. Ou bien un autre où le maquillage outrancier qu’adopte la mère par convention professionnelle est une autre figure risible du kitsh, du ça, du poids de la Forme, du désir mimétique qui transfigure les regards autour d’elle. De même quand un chauffeur routier oblige, par jeu, le fils aîné à se déguiser en clown, en ça. Allégories du gigantisme aussi quand les trois frères se font la courte échelle pour faire face à leur père dans une partie de basket ou quand un énorme rat légendaire recouvre en fait la multitude réelle des rats cachés sous une baraque. Désordres mimétiques encore quand, lors d’une partie de campagne se constituent des duos monstrueux d’alter ego ; ce qui, de duels, débouche au final sur une crise du degree généralisée à l’issue de laquelle le dernier de la famille, devenu enragé, va se réfugier dans le ventre d’un cochon gonflable pour y dévorer des bonbons. Chaque épisode ou presque s’organise ainsi autour d’une crise mimétique et de la recherche d’un bouc émissaire : ce que confirme explicitement le dernier épisode de la série.

 

[3]Même si Milan Kundera ironise aussi sur l’image kitsh du couple véhiculée notamment par les chansons sentimentales (VI, 12), il présente Tomas et Tereza au final de L’insoutenable légèreté de l’être de façon plus équilibrée et moins cynique et figée qu’Hitchcock : dans l’abandon commun de leurs forces l’un pour l’autre et le mouvement de la danse qui permet de continuer l’aventure du voyage (by air, en avion). Mouvement de légèreté qu’on retrouve au final aussi du roman de Boulgakov dans l’étreinte de Marguerite et du Maître avant leur envol pour la lune. Images variables du couple "gyntien" auxquelles on peut superposer aussi, dans la vie réelle, celles de Witold et Rita Gombrowicz ou de Robert-Louis et Fanny Stevenson ou bien encore celle vécue et mise en scène par Jane Birkin et Serge Gainsbourg.

 

(Philippe Prunet, "Sic transit gloria mundi"ou la révélation mimétique, 1995/2009)

 

Blog de Philippe Prunet (Overblog) : 27 décembre 2021.

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